Petit manifeste low-tech
Ce samedi 17 mai, je pédalerai vers Massy en compagnie de Tristan Nitot pour parler "low-tech" et dédicacer Bikepunk lors du festival Parlons Vélo.
Attention, ce qui va suivre divulgâche une partie de ce que je dirai samedi midi à Massy. Si vous venez, arrêtez de lire ici, on se retrouve demain !
Qu’est-ce que la low-tech ?
Le terme low-tech nous fait intuitivement sentir une opposition contre l’excès technologique (le "high tech") tout en évitant l’extrémisme technophobique. Un terme qui enthousiasme, mais qu’il me semble important d’expliciter et dont je propose la définition suivante.
Une technologie est dite « low-tech » si les personnes interagissant avec cette technologie savent et peuvent en comprendre son fonctionnement.
Savoir comprendre. Pouvoir comprendre. Deux éléments essentiels (et difficiles à distinguer pour le Belge que je suis).
Savoir comprendre
Savoir comprendre une technologie implique d’avoir la possibilité de construire un modèle intellectuel de son fonctionnement interne.
Il est bien évident que tout le monde n’a pas la capacité de comprendre toutes les technologies. Mais il est possible de procéder par niveau. La majorité des automobilistes sait qu’une voiture à essence brûle le carburant qui explose dans un moteur, explosion qui entraine des pistons qui font tourner les roues. Le nom est un indice en soi : un moteur à explosion !
Si je n’en comprends pas plus sur le fonctionnement d’un moteur, j’ai la certitude qu’il existe des personnes qui comprennent mieux, souvent dans mon entourage direct. Au plus la compréhension est fine, au plus les personnes deviennent rares, mais chacun peut tenter de s’améliorer.
La technologie est simple sans être simpliste. Cela signifie que sa complexité peut être appréhendée graduellement. Et qu’il existe des experts qui appréhendent une technologie particulière dans sa globalité.
Par opposition, il est aujourd’hui humainement impossible de comprendre un smartphone moderne. Seuls quelques expert·e·s dans le monde maitrisent chacun·e un point particulier de l’objet : du dessin de l’antenne 5G au logiciel retouchant automatiquement les photos en passant par le chargement rapide de la batterie. Et aucun d’entre eux ne maitrise la conception d’un compilateur nécessaire à faire tourner le tout. Même un génie passant sa vie à démonter des smartphones serait dans l’incapacité totale de comprendre ce qui se passe à l’intérieur d’un engin que nous avons tous en permanence soit dans une poche, soit devant notre nez !
L’immense majorité des utilisateurs de smartphones n’ont pas le moindre modèle mental de son fonctionnement. Je ne parle pas d’un modèle erroné ou simpliste : non, il n’y en a pas du tout. L’objet est « magique ». Pourquoi affiche-t-il quelque chose plutôt qu’un autre ? Parce que c’est « magique ». Et comme pour la magie, il ne faut pas chercher à comprendre.
La low-tech peut être extrêmement complexe, mais l’existence même de cette complexité doit être compréhensible et justifiée. Une complexité transparente encourage naturellement les esprits curieux à se poser des questions.
Le temps de comprendre
Comprendre une technologie prend du temps. Cela implique une relation longue, une expérience qui se crée tout au long d’une vie, qui se partage, qui se transmet.
Par opposition, la high-tech impose un renouvellement, une mise à jour constante, des changements d’interface et de fonctionnalité permanents qui renforcent l’aspect « magique » et entraine le découragement de celleux qui tentent de se construire un modèle mental.
La low-tech doit donc nécessairement être durable. Pérenne. Elle doit s’enseigner et permettre une construction progressive de cet enseignement.
Cela implique parfois des efforts, des difficultés. Tout ne peut pas toujours être progressif : à un moment, il faut se lancer sur son vélo pour apprendre à garder l’équilibre.
Pouvoir comprendre
Historiquement, il semble évident que toute technologie a la possibilité d’être comprise. Les personnes interagissant avec la technologie étaient forcées de réparer, d’adapter et donc de comprendre. Une technologie était essentiellement matérielle, ce qui implique qu’elle pouvait être démontée.
Avec le logiciel apparait un nouveau concept : celui de cacher le fonctionnement. Et si, historiquement, tout logiciel est open source, l’invention du logiciel propriétaire rend difficile, voire impossible, de comprendre une technologie.
Le logiciel propriétaire n’a pu être inventé que grâce à la création d’un concept récent, au demeurant absurde, appelé « propriété intellectuelle ».
Cette propriété intellectuelle ayant permis la privatisation de la connaissance dans le logiciel, elle est ensuite étendue au monde matériel. Soudainement, il devient possible d’interdire à une personne de tenter de comprendre la technologie qu’elle utilise au quotidien. Grâce à la propriété intellectuelle, des fermiers se voient soudain interdits d’ouvrir le capot de leur propre tracteur.
La low-tech doit être ouverte. Elle doit pouvoir être réparée, modifiée, améliorée et partagée.
De l’utilisateur au consommateur
Grâce à la complexification, aux changements incessants et à l’imposition d’un régime strict de « propriété intellectuelle », les utilisateurs ont été transformés en consommateurs.
Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas une évolution inéluctable de la nature. Il s’agit d’un choix conscient. Toutes les écoles de commerce enseignent aux futurs entrepreneurs à se construire un marché captif, à priver autant que possible leur client de liberté, à construire ce qu’on appelle dans le jargon une "moat" (douve qui protège un château) afin d’augmenter la « rétention des utilisateurs ».
Les termes eux-mêmes deviennent flous pour renforcer ce sentiment de magie. On ne parle par exemple plus de transférer un fichier .jpg vers un ordinateur distant, mais de « sauvegarder ses souvenirs dans le cloud ».
Les marketeux nous ont fait croire qu’en supprimant les mots compliqués, ils simplifieraient la technologie. C’est évidemment le contraire. L’apparence de simplicité est une complexité supplémentaire qui emprisonne l’utilisateur. Toute technologie nécessite un apprentissage. Cet apprentissage doit être encouragé.
Pour une approche et une éthique low-tech
L’éthique low-tech consiste à se remettre au service de l’utilisateur en lui facilitant la compréhension de ses outils.
La high-tech n’est pas de la magie, c’est de la prestidigitation. Plutôt que de cacher les « trucs » sous des artifices, la low-tech cherche à montrer et à créer une utilisation en consciente de la technologie.
Cela n’implique pas nécessairement une simplification à outrance.
Prenons l’exemple d’une machine à laver le linge. Nous comprenons tous qu’une machine de base est un tambour qui tourne dans lequel est injecté de l’eau et du savon. C’est très simple et low-tech.
On pourrait arguer que l’ajout de capteurs et de contrôleurs électroniques permet de laver le linge plus efficacement et plus écologiquement en le pesant et adaptant la vitesse de rotation en fonction du type de linge.
Dans une optique low-tech, un boitier électronique est ajouté à la machine pour faire exactement cela. Si le boitier est retiré ou tombe en panne, la machine continue à fonctionner simplement. L’utilisateur peut choisir de débrancher le boitier ou de le remplacer. Il en comprend l’utilité et la justification. Il construit un modèle mental dans lequel le boitier ne fait qu’appuyer sur les boutons de réglage au bon moment. Et, surtout, il ne doit pas envoyer toute la machine à la casse parce que la puce wifi ne fonctionne plus et n’est plus mis à jour ce qui a bloqué le firmware (quoi ? Ma machine à laver dispose d’une puce wifi ?).
Pour une communauté low-tech
Une technologie low-tech encourage et donne l’occasion à l’utilisateur à la comprendre, à se l’approprier. Elle tente de rester stable dans le temps, se standardise. Elle ne cherche pas à cacher la complexité intrinsèque partant du principe que la simplicité provient de la transparence.
Cette compréhension, cette appropriation ne peut se faire que dans l’interaction. Une technologie low-tech va donc, par essence, favoriser la création de communautés et les échanges humains autour de cette même technologie.
Pour contribuer à l’humanité et aux communautés, une technologie low-tech se doit d’appartenir à tou·te·s, de faire partie des communs.
J’en arrive donc à cette définition, complémentaire et équivalente à la première :
Une technologie est dite « low-tech » si elle expose sa complexité de manière simple, ouverte, transparente et durable tout en appartenant aux communs.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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